Diana PREDESCU
Comment prendre conscience de son intelligence si elle reste prisonnière des confins de l’esprit ? L’absence de doute quant à sa supériorité intellectuelle ne dénote-t-elle pas, en soi, un manque d’intelligence ? Si l’intelligence porte en elle une sorte d’altruisme, la confiner aux recoins de son propre esprit ne revient-il pas à trahir sa véritable nature par un égoïsme voilé ?
Telles sont les questions qui me poursuivent depuis la lecture du livre de Muriel Barbery, L’élégance du hérisson, publié en 2006 chez Gallimard. La version roumaine que j’ai lue a été traduite par Ion Doru Brana et publiée chez Nemira. Le roman se déroule dans un immeuble de Paris, un lieu réservé au gratin de la haute société, et se concentre sur deux personnages principaux qui endossent chacun à tour de rôle le manteau narratif : Renée, la concierge de l’immeuble, âgée de 54 ans, qui dissimule ses goûts intellectuels derrière une masque de simplicité et de niaiserie, et Paloma, une jeune fille de 12 ans issue d’une famille riche résidant dans le même immeuble, qui méprise le fonctionnement du monde adulte et envisage de se donner la mort le jour de son treizième anniversaire.
Quels sentiments communs les animent en silence ? À la fois une répulsion viscérale envers la bourgeoisie, les faux-semblants et le snobisme, et un désir – presqu’un besoin – de décortiquer, de l’abstrait au concret, tout ce qu’elles estiment être traité superficiellement par les autres. En quoi se distinguent-elles ? De toute évidence, la classe sociale, et c’est de là que découlent les autres différences. On assiste d’un côté à la révolte de Paloma – qui se sent en droit de l’exprimer, ne serait-ce que sur papier – et de l’autre à l’acceptation tacite de Renée, qui ne remet pas en question sa place dans la société.
Je dois avouer que, quelle que soit l’intelligence avec laquelle l’autrice veut dépeindre ces personnages, ceux-ci manquent parfois de crédibilité, leurs pensées me semblant quelquefois n’être qu’une suite de mots précieux destinés à impressionner. Qui peuvent-ils impressionner, me direz-vous, puisque leurs mots ne vont guère plus loin que leur trace dans un journal ? Eux-mêmes. Car ils ont soigneusement façonné une image d’eux-mêmes. C’est aussi une sorte de snobisme, mais plus subtil.
Bien que ce livre ne soit pas des plus aisés à lire, notamment en raison de son écriture plutôt dense et exigeante, il en ressort une force particulière, un besoin de côtoyer Renée et Paloma tout au long de leur cheminement. C’est un récit qui invite à repenser ses propres perceptions. C’est un récit qui invite à réfléchir, pas simplement à accepter les visions de ces deux personnages sans les questionner. C’est précisément cette dimension d’introspection qui nourrit mon intérêt pour ce livre.
L’élégance du hérisson vous pousse à déconstruire vos certitudes sur vous-mêmes et sur les autres, c’est pourquoi je vous le recommande chaleureusement.